BIOGRAPHIE

François de Menthon a été une figure importante du MRP pendant toute la Quatrième République. Son parcours témoigne d'une génération de catholiques formés par l'Action Catholique et révélés à eux-mêmes et à la nation par l'engagement résistant.



Le "Président des ouvriers" et le résistant

François de Menthon est issu d'une grande famille savoyarde, dont la figure la plus prestigieuse est saint Bernard de Menthon (Xle siècle), patron des alpinistes, dont le souvenir a été conservé dans les deux cols alpins qui portent son nom. Très tôt, le jeune François milite au sein de l'ACJF et s'engage toujours plus dans cette association jusqu'à en devenir le président de 1926 à 1929. Parallèlement, il poursuit des études de droit qui le mènent à l'agrégation. Son rôle au sein de l'ACJF est déterminant puisque c'est durant sa présidence que naît le premier mouvement spécialisé, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne.
Cette spécialisation remet en cause le fonctionnement de l'Association car les jeunes chrétiens ne se regroupent plus selon une logique purement géographique mais selon leur appartenance sociale afin de transmettra une expérience chrétienne dans chaque milieu. Il s'agit également de mieux connaître les attentes des différentes catégories sociales afin que les catholiques puissent jouer un rôle de premier plan dans la cité. Enfin, les mouvements spécialisés ont pour objectif de susciter une élite chrétienne dans toutes les couches de la population.Cette expérience marque profondément le démocrate chrétien.

Professeur d'économie politique à la Faculté de Droit de Nancy de 1930 à 1940 - poste qu'il retrouve de 1958 à 1968 -. il adhère au Parti Démocrate Populaire et cherche à s'affirmer sur la scène politique lorraine, sans grand succès. Il doit se contenter d'un éphémère siège de conseiller municipal à Nancy, décroché lors d'une élection partielle.

Plus durablement, il fonde avec son ami et collègue Pierre-Henri Teitgen la revue Droit social qui joue un rôle pionnier dans l'étude de la jurisprudence du droit du travail.

Entretemps, après avoir épousé Nicole de Saint-Seine, François de Menthon devient père de six garçons. C'est pourquoi, il aurait pu être exempté de la mobilisation en 1939 mais ce patriote choisit de s'engager au service de sa patrie. Après avoir été blessé dans les Vosges en juin 1940, François de Menthon s'évade et retrouve à Annecy son cousin Gérard du Jeu qui vient de fonder un journal clandestin, Liberté, dont il est la cheville ouvrière. Menthon décide d'élargir l'oeuvre entreprise en s'appuyant sur le cercle des professeurs d'université démocrates chrétiens mais aussi sur le lignage familial. Liberté devient le journal clandestin le plus diffusé de Zone sud mais il est victime d'un aventurier qui conduit à l'arrestation de François de Menthon et du groupe de Marseille en novembre 1941.
Il est toutefois relâché et bénéficie d'un non lieu. Cet événement accélère la mise en place d'un nouveau mouvement, le Mouvement de Libération Nationale, plus connu sous le nom de son journal, Combat, dirigé à la fois par Menthon et Henri Frenay.

Pendant l'année 1942, Menthon s'éloigne de Combat pour donner naissance au Comité Général d'Études, sous l'égide de Jean Moulin. Cet organisme, directement lié à la Délégation générale reçoit pour mission de préparer la libération. Sans crainte du danger, Menthon manifeste le 1er mai 1942 devant la mairie d'Annecy, à l'appel de la BBC ; cela lui vaut d'être jeté dans un bassin de la ville par le Service d'Ordre Légionnaire (c'est à dire la préfiguration de la sinistre milice).

Trop menacé, il quitte la France pour Londres puis Alger en août 1943. Il devient alors commissaire à la Justice dans le Comité Français de la Libération Nationale auprès du général de Gaulle. Son rôle et son activité sont alors immenses.



La Démocratie chrétienne : une exigence permanente

François de Menthon appartient indubitablement aux bâtisseurs du MRP, même s'il se trouve jusqu'en septembre 1944 à Alger. Il se fait du reste l'interprète de ses amis restés à Paris auprès du général de Gaulle et rassure ceux-ci quant à l'esprit politique du président du CFLN. Il apporte au MRP son expérience de premier plan au sein de l'Action Catholique. Sa conception du rôle du MRP s'en ressent. Il doit porter sur la scène publique les aspirations d'une génération qui a voulu s'engager et améliorer le monde. Ce n'est évidemment pas un parti catholique mais l'expression d'une société en marche, animée par la volonté de faire entrer la démocratie dans toutes les sphères sociales et d'organiser la vie publique avec le souci de sauvegarder la personne et l'ensemble des communautés naturelles sans lesquelles il n'existe qu'un individu abstrait et strictement juridique. C'est pourquoi il a toujours estimé que les ouvriers du MRP apportaient une sève particulière au Mouvement, telle Francine Lefebvre, "la petite chocolatière" .
La crainte de voir le MRP devenir un parti politique comme les autres, coupé des militants et des forces vives de la nation l'amène à se présenter à la présidence du Mouvement en 1956, contre Pierre Pflimiin, qu'il juge trop technicien et dont il doute qu'il possède l'esprit MRP. C'est un échec et il se situe après 1956 en marge du Mouvement.

La seconde mission fondamentale d'un parti démocrate-chrétien consiste, à ses yeux, à servir et défendre sans concession la démocratie. Pour lui, la démocratie, ce n'est pas seulement le vote mais aussi - et surtout - le débat, l'échange, la réflexion qui amène au vote, dans un esprit de responsabilité. On n'élit pas des hommes et des femmes, mais on affirme une vision du monde. Il a donc lutté avec acharnement contre le scrutin d'arrondissement à deux tours. L'esprit de la démocratie se trouve dans le scrutin de liste et la proportionnelle. Il déteste l'affrontement politique vociférant et les attaques ad hominem et ne voit nullement les coalitions de la Quatrième République comme un mal nécessaire mais comme une reconnaissance juste et indispensable du pluralisme des Français. C'est indiscutablement un homme de la Troisième Force ; il admire également certaines personnalités radicales pour leur sens de l'État et leur capacité à gérer les finances, comme Henri Queuille ou Maurice Petsche. On comprend dès lors qu'il repousse le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958 : il estime être dans la situation des députés de 1940. Député de Haute-Savoie, il refuse d'abdiquer face à la force et de confier à un individu un pouvoir qui appartient collégialement à la représentation nationale.



Le sens des responsabilités

L'action politique de François de Menthon se concentre entre 1944 et 1952. Il incarne une figure de la Quatrième République. Il entre sur la scène politique par la grande porte puisque le commissaire à la Justice devient Garde des Sceaux de juin 1944 à mai 1945.
Ses nouvelles fonctions le conduisent à orienter la politique de répression des actes de trahison commis entre 1940 et 1944, appelée improprement épuration. Il prend garde à respecter certains principes fondamentaux : les accusés doivent pouvoir se défendre ; le chef de l'État doit disposer du droit de grâce ; les tribunaux prononcent des peines personnelles, qui tiennent compte de la personnalité de l'accusé, et non des sanctions collectives. Menthon est persuadé que les procès doivent avoir lieu rapidement et il institue pour cela des cours de justice. Certes, la procédure est bousculée mais les accusés bénéficient de l'absence de partie civile. Très tôt, dès 1943, François de Menthon s'interroge sur la qualification des crimes de trahison. Comme le Code Pénal ne propose que des sanctions extrêmement sévères, il décide de proposer un châtiment rétroactif, l'indignité nationale, afin d'éviter de placer les jurys devant une alternative insoluble, la relaxe ou une peine excessivement sévère, pour des délits mineurs.
Il justifie la rétroactivité de cette mesure en signalant qu'il s'agit d'une punition politique pour des crimes politiques. Les principes sont donc fermes, mais le ministre de la Justice se heurte a une Assemblée hostile, qui pratique la surenchère verbale. Le général de Gaulle décide donc de changer d'homme sans changer de politique : Pierre-Henri Teitgen, orateur supérieur à François de Menthon, remplace ce dernier et poursuit l'œuvre entamée.

Menthon ne retrouve un portefeuille ministériel qu'en juin 1946 : ministre de l'Economie nationale dans le gouvernement Bidault, il cherche à libérer l'économie pour relancer la production sans se donner les moyens de juguler l'inflation qui atteint un pic pendant l'été 1946. La brièveté du gouvernement et surtout l'hostilité sans faille des ministres communistes ne permettent pas de dresser un réel bilan du passage de François de Menthon à ce ministère.

Entre temps, il a représenté la France au Tribunal International de Nuremberg, a présidé le groupe parlementaire MRP à l'Assemblée nationale et a occupé la charge de rapporteur de la Constitution. Il combat alors pour un projet équilibré, qui ne laisse pas l'Assemblée seule diriger le pays. Il défend l'idée d'une deuxième chambre et cherche a donner à l'exécutif les moyens de son efficacité. En démissionnant de ses fonctions de rapporteur en avril 1946, il préfigure le "non" auquel appelle le MRP en juin 1946.
Il ne retrouve la présidence du groupe parlementaire qu'en 1948 et la conserve jusqu en 1952 C'est une période difficile qui demande une énergie constante. Les députes MRP estiment avoir des comptes à rendre avant tout à leur électoral alors que les militants du Mouvement les accusent de ne pas suivre l'orientation des Congrès. Menthon cherche surtout à exprimer les idées qui se dégagent au sein du groupe sans faire prévaloir ses opinions personnelles. Il est persuadé que la sauvegarde de la République face à la menace d'une guerre civile entre gaullistes et communistes justifie les sacrifices consentis par le MRP. Ce grand démocrate en apparaît même méfiant face au suffrage universel, défendant la peu défendable loi sur les apparentements. Cette angoisse, renforcée par le climat international de la Guerre froide, l'amène à s'opposer sans concession au RPF, quitte à se tourner vers les modérés. C'est ainsi qu'en 1952 Antoine Pinay devient président du Conseil. Menthon fait une campagne ardente pour le soutien sans participation. Il n'est pas écouté et doit abandonner la présidence du groupe, déçu de voir le MRP se tourner vers la vieille droite parlementaire. Il pense probablement s'être trompé d'ennemi puisqu'il s'enthousiasme le mois suivant pour la tentative de fusionner le MRP et le RPF dans un grand parti gaulliste, fondé sur la Résistance et le travaillisme On constate qu'il accepterait sans état d'âme la disparition du MRP pour un grand parti dans l'esprit du projet de Pierre Brossolette afin d'effacer la macule du gouvernement Pinay. On sait que les négociations secrètes menées par Pierre-Henri Teitgen, Etienne Borne, François de Menthon d'une part, Louis Terrenoire et Jacques Soustelle d'autre part restent sans lendemain.
C'est donc sans regret qu'il s'éloigne de la scène politique nationale pour réaliser un autre dessein, la construction européenne



Une conviction fondamentale : l'Europe politique

Menthon a été de tous les combats européens entre 1948 et 1958. Son objectif reste le même tout au long de cette décennie : donner à l'Europe une réalité politique fondée sur l'idée d'une communauté de destin et d'une culture commune. La grandeur du dessein peut contraster avec l'apparente modestie de la réalisation. Les impasses, telles que le Conseil de l'Europe, la Communauté Européenne de Défense et l'Assemblée ad hoc - chargée en 1952 de préparer une Communauté politique -, sont fréquentes et la réalité de la construction européenne semble plus appartenir à la sphère économique qu'à la sphère politique. Seules la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) puis la Communauté Économique Européenne (CEE) réussissent à s'imposer.

Malgré cela, François de Menthon, animé d'une certitude européenne inébranlable, défend farouchement au sein des institutions européennes la construction d'une Europe politique, fût-ce par le truchement d'une union économique.
Le cursus européen de François de Menthon se révèle particulièrement riche. Après avoir participé à l'exaltation fédéraliste de 1948, il appartient au comité qui donne naissance au Conseil de l'Europe. Membre de l'Assemblée de cette institution de 1950 à 1958, il en assure la présidence entre 1952 et 1954, puis, après avoir été battu par Guy Mollet, devient président de la Commission des affaires générales.
Il fait également partie des représentants français de l'Assemblée de la CECA entre 1952 et 1958 et appartient à l'Assemblée ad hoc chargée de rédiger le projet politique de Communauté européenne. Une coupure nette apparaît en 1954 pour François de Menthon comme pour le MRP tout entier. Le MRP se trouve dans une situation difficile après le rejet de la CED. Il n'est pas dans sa culture politique de mener une opposition systématique et il doit accepter cet échec ; l'action de François de Menthon ne ralentit pas. L'énergie, la foi et l'abnégation qu'il consacre à l'Europe témoignent de l'engagement total d'une poignée d'Européistes convaincus, qui, portés par un élan impulsé par quelques personnalités fortes, ont jeté toutes leurs forces dans cette bataille avec la certitude d'œuvrer pour le bien public.

En octobre 1958, dans son dernier grand discours, François de Menthon dresse un bilan de l'œuvre accomplie. Il doit reconnaître que les résultats sont minces. L'échec de la CED a brisé l'élan initial et le Traité de Rome oriente l'Europe vers une voie économique qui ne correspond pas à l'idée européenne originelle. L'impossibilité de faire entrer la Grande-Bretagne dans une structure européenne confédérale ruine toute velléité de créer une Europe politique forte qui puisse s'exprimer sur la scène internationale. Mais des années d'effort acharné ont eu le mérite de susciter des rencontres, des échanges et des relations de confiance entre les responsables politiques des différents pays. Cette richesse que François de Menthon ressent dans l'Assemblée du Conseil de l'Europe lui semble être un gage d'espoir. Il quitte à contrecœur les Assemblées européennes, uniquement par contrecoup de son rejet du retour du général de Gaulle.



C'est donc en homme retiré de la scène publique nationale que François de Menthon assiste à l'effacement du MRP. Dans un article de Forces Nouvelles, il approuve la démarche de Joseph Fontanet et de Jean Lecanuet de suspendre l'existence du MRP. Le MRP a réussi son œuvre ; mettre les démocrates-chrétiens au cœur de l'action politique. Après 1965, il estime même que, face à une France bipolaire, il est bon de trouver des hommes de notre esprit aussi bien d'un côté que de l'autre. Il n'en reste pas moins nostalgique de l'élan de la Libération et, en 1972, il met sur le papier les pensée qui lui viennent à la relecture du Manifeste du MRP - c'est sur ces propos que nous terminerons ce bref aperçu - :

"Le Manifeste du MRP. Formidable. Oui, c'est bien cela que nous avions voulu. Voilà le sommet d'où l'on peut comprendre et juger le paysage de notre action et notre immense espérance, et l'étendue de nos lâchetés ou insuffisances, et l'horreur méprisable de tant de trahisons (...)".

Comment le définir ?
"Le refus de l'injustice sociale, la volonté de m'engager, d'agir, pour parvenir à une société différente de celle où j'étais né, où j'avais grandi, dont j'avais profité mais que j'avais détestée, vomie depuis mes premières réactions d'enfance, d'adolescence".


Laurent DUCERF

Agrégé d'histoire (auteur d'un livre à paraître en 2005 sur François de Menthon)