"Il y a des hommes qui tirent leur grandeur de leur bonté. Alain Poher était de ceux là,
simple et modeste. Mais il fut un grand patriote, un européen engagé, un président du
Sénat exemplaire, un vrai serviteur de la République à l'immense expérience."
Tels furent les propos de René Monory, son successeur à la présidence du Sénat lors de
l'hommage solennel que la Haute Assemblée rendit à Alain Poher.
Aux côtés des hommes politiques par ambition, il est des hommes politiques par destin,
il était de ceux-là.
L'image d'Alain Poher que les Français ont découverte lorsque les événements de 1969
l'ont propulsé sur le devant de la scène fut inexacte en ce sens que l'homme était
foncièrement différent de son image, un peu débonnaire, installé dans les ors du Sénat,
alors qu'Alain Poher c'était le conciliateur, l'homme de finesse et de discrétion, brillant
causeur, et capable dans les cas extrêmes d'une implacable fermeté.
Ingénieur des Mines, un accident de santé lui ayant interdit la vie au fond des puits,
c'est alors le droit, l'école libre des sciences politiques et le concours du Ministère
des finances dont il devient rapidement administrateur civil et chef des services sociaux.
Mobilisé en 1939, blessé, il s'échappe de Dunkerque avec la 2ème
DINA et participe au Mouvement de résistance "Libération Nord" où il prit des risques importants.
Les enseignements reçus au mouvement chrétien "Pax Romana" pendant ses études trouvèrent
là leur réponse et lui valurent la médaille de la Résistance.
L'EUROPEEN.
Sa rencontre avec Robert Schuman en 1945 qui le prend comme chef de cabinet, au ministère
des finances, va décider de son avenir politique et le conduira aux plus hautes responsabilités.
Elu au Conseil de la République en 1946, il se voit confier la tâche redoutable de "rapporteur
général de la commission des finances" poste prestigieux de l'Assemblée.
Robert Schuman devenu Président du Conseil lui confie alors le portefeuille de secrétaire
d'Etat aux Finances, Henri Queuille, la même année, celui du Budget. C'était la quatrième République… !
En 1948, Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, auquel l'unissait une
complicité qui ne n'est jamais démentie, l'a rapidement projeté vers le franco-allemand
et la réconciliation entre nos deux pays. Commissaire général aux affaires allemandes et
autrichiennes (1948-1950) il résidait à Düsseldorf ce qui lui permit de connaître et de
travailler avec les nouveaux dirigeants allemands, de mettre en place des jumelages qui
existent encore, tout en travaillant avec les chefs militaires français des forces d'occupation.
La Présidence de l'Autorité Internationale de la Ruhr en 1950-1952 permit à l'ingénieur des
Mines qu'il était d'être un conseiller écouté de Robert Schuman lors de la mise en place du
Pool Charbon Acier (CECA), première des institutions européennes. Il fit partie d'ailleurs dès
sa création de la première assemblée de cette institution où il joua un grand rôle en partenariat
notamment avec Paul-Henri Spaak pour la mise en place de cette Assemblée multinationale (6 pays)
dont aucun exemple n'existait sous cette forme.
Il fut membre de ce parlement pendant 25 ans (1952-1977) et son parcours y fut particulièrement
brillant : Assemblée commune de la CECA, président de la Commission des transports puis de la
commission du marché commun.
De 1958 à 1966 l'Assemblée parlementaire européenne devenue le Parlement européen il y fut président
du groupe démocrate-chrétien avant d'être élu trois fois consécutives président du Parlement, fait
unique dans l'histoire de cette institution.
Elu Président du Sénat en 1968, il cumula les deux fonctions française et européenne durant
quelques mois. C'est là que les Français le découvrirent et ce fut le plus long règne à la tête
de la Haute Assemblée (1969-1992).
LE PRESIDENT DU SENAT
Dès son élection, l'actualité fut centrée sur le souhait du général de Gaulle, Président de
la République, de réformer le Sénat pour en faire un super Conseil Economique des Régions, c'est à
dire la suppression du rôle législatif du Sénat.
A cette initiative le Président répondit :
"Je ne suis ni un président de combat ni un président liquidateur, je suis tout simplement le président
du Sénat de la République et cela me suffit."
Ce fut son propos dans un premier temps.
Mais le Président Poher savait qu'il lui faudrait "dialoguer" avec le général de Gaulle pour
tenter d'éviter le pire sans grande chance d'être entendu. Il savait qu'en cas d'échec c'était l'affrontement,
car le sort du Sénat en dépendait :
"Dans la mesure où je serais obligé de refuser le projet gouvernemental c'est un non tourné
vers l'avenir, un non réformateur que je prononcerai car, si je crois à la nécessité des réformes,
je ne peux accepter pour mon pays le risque de l'aventure.
Je n'ai aucune honte à défendre l'institution que je préside car le Sénat de la République, que l'on
veut, me semble t-il, faire disparaître, a dans son histoire bien mérité de la patrie. Il est de mon
devoir de le rappeler du haut de cette prestigieuse tribune."
Le 27 avril 1969 c'est le non qui l'emporte au référendum. Le général
de Gaulle, selon ce qu'il avait annoncé, quitte l'Elysée et Alain Poher commence selon
la Constitution son premier intérim. Conduit contre son gré à se porter candidat contre
Georges Pompidou, l'aura de la campagne a largement profité au Sénat restauré
dans la plénitude de ses attributions et Alain Poher sortit de cette aventure largement
connu du grand public.
Alors vinrent les grandes orientations qui mirent le Sénat à la pointe de l'actualité :
la saisine du Conseil constitutionnel par le Président du Sénat sur les associations.
Le Président du Sénat avait en effet le droit de saisine, mais le Conseil constitutionnel
n'y avait jusqu'alors pas donné suite. En 1971 sur une loi dite " des associations ", le recours
du Président du Sénat devant le Conseil en obtenant la saisine, était un geste politique qui
fut complété par la révision constitutionnelle du Congrès de 1974.
Lors du décès prématuré du Président Pompidou, le Président
du Sénat se retrouva de nouveau à l'Elysée. Quel destin … Le deuxième intérim
fut sans comparaison possible avec le premier, mais les qualités d'homme d'Etat d'Alain Poher se
sont révélées à nouveau, aux dires même des membres du gouvernement de Pompidou
qui n'étaient cependant pas enclins à la mansuétude à son égard. Le Président
de la République par intérim profita des pouvoirs qui étaient les siens pour déposer
les instruments de ratification de la Convention européenne des droits de l'homme à Strasbourg.
Cette Convention avait été votée par le Parlement en 1950 mais n'avait jamais été à
même de fonctionner.
Le Président Giscard d'Estaing élu, le Président du Sénat regagne le Luxembourg
où il prépare activement le centenaire du Sénat en 1975. Cette même année 1974
le maire d'Ablon-sur-Seine depuis 1945 est élu président de l'Association des maires de France.
Puis vint l'alternance en 1981, un dialogue musclé avec Gaston Deferre sur sa loi de décentralisation,
puis vient le grand combat sur le projet gouvernemental de "grand service public laïc et unifié de
l'Education Nationale", autrement dit, la mort annoncée de l'école libre.
Les mouvements qui ont mis des millions de Français dans la rue avaient ébranlé le Président
Mitterrand. La visite que lui rendit le Président du Sénat - et son plaidoyer au Président de la
République - qui, contrairement à sa nature, fut tendue. Là, l'homme de conciliation s'est montré
intraitable et déterminé dans sa lucidité.
Deux millions de manifestants et les plus hautes autorités de l'état étaient mobilisés
contre la loi. On obtint le retrait.
Pour ceux qui le côtoyaient quotidiennement, Alain Poher était un homme d'une grande disponibilité,
les relations étaient absentes de tension, son sens de l'humain et l'effacement personnel devant les
événements étaient des traits de caractère assez rares chez des hommes de ce niveau.
Mais lorsque les grands principes étaient en cause, alors apparaissait la froide détermination faite
de lucidité et de mesure.
Alain Poher demeurera dans l'histoire un grand serviteur de la démocratie, de la République et de l'Europe.
Monique BADENES
Ancien Conseiller du Président POHER
Ancien Député Européen