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Trois résultats majeurs de
Trois résultats majeurs de
l'action du M.R.P.
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par Robert LECOURT




S'il faut, comme il est souhaité, évoquer en quelques lignes souvenirs, action personnelle et réflexions sur le bilan du M.R.P., je ne retiendrai, parmi d'autres. que trois séries d'initiatives, sur la lancée desquelles la France vît encore.

La plus risquée avait pour objet la recherche patiente, discrète, semée d'embûches, d'une solution concertée à la vieille querelle de la laïcité. Située au plein coeur des majorités de la IVe République, cette contestation rebondissait à tout propos, paralysant les gouvernements et provoquant leur instabilité.

Quelques responsables du M.R.P. et du parti socialiste entreprirent en 1952 d'effectuer en commun cette recherche. La voie la plus appropriée parut être de faire d'abord l'inventaire des divers terrains sur lesquels se manifestait ce contentieux et d'explorer ensuite, pour chacun d'eux, les rapprochements possibles, sous les garanties d'une convention diplomatique entre la France et le Saint-Siège soumise à ratification parlementaire.

Un document d'ensemble fut méticuleusement élaboré. Sur cette base, Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, accepta de consulter officieusement le Vatican. Après la réponse de celui-ci, des projets de textes seront préparés et transmis à Rome par Georges Bidault, successeur de Robert Schuman au Quai d'Orsay.

Pendant près de deux ans je ferai la liaison entre partenaires français et négociateur romain pour la mise au point de ces documents.

Lorsque la chute du gouvernement Guy Mollet interrompit ces travaux, de substantiels rapprochements avaient été réalisés jusque sur les sujets les plus sensibles. Avaient ainsi été arrêtées les modalités d'un régime acceptable de l'enseignement privé. Une loi, quelques années plus tard, en reprendra la substance. Ce dispositif est en vigueur depuis plus de trente ans (1).


II faudra aussi attendre le passage d'une République à l'autre pour voir conférer pleine efficacité à deux initiatives importantes en matière institutionnelle.

La première visait la création, dès 1946, d'un organe de contrôle constitutionnel. Au nom du M.R.P. j'en fis la proposition à l'Assemblée Constituante. Celle-ci la repoussa. Cette réforme fondamentale fut réalisée en 1958 sous le nom de Conseil constitutionnel, aux travaux duquel, après Paul Coste-Floret, j'ai été appelé à collaborer de 1979 à 1989.

Une autre proposition, mise en chantier sous la IVe République, tendait à assurer la stabilité gouvernementale, grâce à une disposition qui donnera naissance à l'article 49-3 de la présente Constitution.
Inspirée par Fernand Chaussebourg, l'idée consistait à organiser les scrutins sur la "question de confiance" de manière à contraindre les députés à se prononcer sans faux-fuyant sur la chute du gouvernement. Elle fut proposée à l'Assemblée, dès 1953, par un amendement d'Edouard Moisan et Jean Cayeux. Elle fut reprise en 1957 dans une proposition de loi de Paul Coste-Floret.

Il s'agissait d'admettre que le refus de censurer le gouvernement entraînait nécessairement l'adoption du texte auquel celui-ci avait lié son existence. Pour éviter toute manoeuvre, il suffisait alors de recenser les seuls suffrages hostiles au gouvernement. Ainsi ne serait-il plus possible à un député de se réfugier dans l'abstention pour éviter de prendre ses responsabilités dans le déclenchement d'une crise.

Aussi, lorsqu'en 1957 le gouvernement Félix Gaillard ouvrit la révision constitutionnelle, le Garde des Sceaux chargé de la conduire reprit-il la substance de cette idée. Incorporée au projet du gouvernement, elle fut soumise à l'Assemblée qui, malgré de très vives résistances, en accepta l'essentiel.

Lors de l'élaboration de l'actuelle Constitution, c'est le mécanisme initialement arrêté par le gouvernement Gaillard qui, sous l'impulsion de Pierre Pflimlin, allait devenir celui de l'actuel article 49-3.
Bien qu'il ait été parfois abusé de cette disposition, elle a, depuis trente-six ans, sauvé du naufrage plus d'un gouvernement (2).


C'est enfin dans l'axe de la plus grande idée neuve de l'après-guerre que se situent les efforts obstinés et obstinément contrariés qui, par la construction d'une Communauté Européenne, ont assuré, plus de quinze ans avant le traité qui la célèbre, la réconciliation franco-allemande et des décennies de prospérité dans la paix enfin acquise.

La réalisation de cette ambition dépendait, certes, de l'originalité du projet. Mais celui-ci eût été sans poids sans la ténacité de l'homme d'Etat qui en prit la responsabilité et de ceux qui, à la suite de Robert Schuman, ont résisté aux oppositions de tous ordres qui, après quarante ans, n'ont pas toutes désarmé... Si l'initiale défection britannique n'entraîna pas la ruine du projet et si fut réalisée la première Communauté européenne, on ne peut exclure que les affinités du trio Schuman-Adenauer-de Gasperi y soient pour quelque chose. Ce sera longtemps après, lorsque seront irrécusables les succès des traités européens, que se manifesteront maintes demandes d'adhésion à allure de plébiscite.

Après l'ère des obstacles politiques vint celle des résistances juridiques à l'application d'un droit aussi nouveau. Permettre à de simples particuliers d'obliger leur Etat à leur appliquer, non la loi nationale, mais les traités communautaires, entraînait un tel bouleversement des mentalités que redoutable pouvait être la réaction des tribunaux. Or, si on ne parvenait pas à faire appliquer partout la même interprétation de la règle commune, c'en serait fait de tout marché commun. Les traités européens auraient été signés en vain.

Pour conjurer ce péril, une Cour de justice avait bien été instituée. Encore fallait-il obtenir que les juges nationaux acceptent d'appliquer ses arrêts. Il était donc vital qu'elle parvînt à entraîner les magistratures nationales à coopérer avec elle. Ainsi a pu être assurée dans toute la Communauté l'autorité des traités. J'eus le privilège de participer à la réalisation de cette entreprise comme juge puis, pendant neuf ans, comme président de la Cour européenne de justice (3).


Représentatives des aspirations du M.R.P. sur trois questions fondamentales, ces diverses initiatives ont poussé, jusqu'à nos jours, des rameaux si vigoureux qu'on ne saurait imaginer leur remise en cause sans courir le risque des plus sérieuses perturbations.

Au surplus, ne conduisent-elles pas à se demander si, tantôt par la recherche du consensus comme en matière scolaire, tantôt par la leçon tirée des occasions manquées dans l'ordre constitutionnel, tantôt par le succès de réalisations aussi porteuses d'avenir que la réconciliation franco-allemande et la construction européenne, la Quatrième République n'aurait pas été le laboratoire de la Cinquième ?




Robert LECOURT
ancien président du groupe MRP à l'Assemblée nationale
ancien ministre de la Justice
Président de la Cour de Justice des Communautés Européennes
Membre du Conseil Constitutionnel


N.B. : Robert Lecourt est décédé le 9 août 2004 à 96 ans.




Bibliographie
_______________________
(1) "Entre l'Eglise et l'Etat : Concorde sans concordat ; 1952-1957" - Hachette.
(2) "L'origine mouvementée de l'article 49-3 "- France Forum (Janvier-mars 1990).
(3) "L'Europe des juges" - Editions Bruyiant, Bruxelles. Voir aussi "Juge constitutionnel et juge communautaire ; une parenté ?"- France Forum (Avril-juin-1989).