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						Le souvenir de Gilbert DRU
						 
							Le souvenir de Gilbert DRU
						
						par Henri BOURBON
					 
 
						S'il est vrai que le visage et le cœur d'une nation, c'est le visage et le cœur de la Jeunesse, Gilbert 
						Dru et Guy Mocquet, "celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas", ont été le visage et le cœur 
						de la France douloureuse' et résistante. Tout était pur alors... nous avions contre nous les sages, les 
						puissants et la loi, nous avions raison. Le temps du courage et de la fraternité a passé, celui des 
						prudences, des habiletés et des jeux parlementaires est venu, ou plus exactement revenu.
 Dans une présentation (ô ironie) du dernier livre de Céline, Roger Nimier, déplorant la bassesse avec 
						laquelle la Résistance est attaquée en 1957, remarque très justement :
 "Parce que leurs écrivains officiels furent insuffisants, des milliers de héros sont aujourd'hui mal 
						connus des jeunes Français. Ils ne portaient pas d'uniforme et on les a habillés de mots ridicules"
 Gilbert Dru et Guy Mocquet ont été habillés du magnifique poème "La Rose et le Réséda" qu'Aragon 
						leur dédia ; à cause de cela, peut-être survivront-ils dans la mémoire des jeunes générations.
 
 Gilbert Dru fut arrêté le 17 juillet 1944 à Lyon avec son camarade Francis Chirat, militant ouvrier ; la 
						Gestapo découvrit sur eux des papiers révélant une activité antinazie.
 
 Ils venaient de participer à une réunion clandestine du centre de coordination d'action des résistants 
						démocrates et chrétiens que présidait Maurice Guérin. On voulut les faire "parler". En vain. Ce fut la 
						détention au fort Montluc.
 Dans la nuit du 26 au 27 juillet, une bombe explosa dans un restaurant de la place Bellecour fréquenté 
						par les Allemands. Le 27 juillet à midi arriva sur cette place un camion contenant cinq otages. Parmi eux,
						Dru le jéciste, Chirat le jociste, et aussi un militant communiste. Au fur et à mesure qu'ils descendirent 
						du camion les nazis les abattirent.
 Jusqu'à 16 heures, les cinq cadavres, les cinq martyrs, restèrent exposés au cœur même de la grande cité 
						lyonnaise. Gilbert Dru avait vingt-quatre ans. Quelques semaines après, Paris, Lyon étaient libérés.
 
						Et leur sang rouge ruisselleMême couleur, même éclat
 Celui qui croyait au ciel
 Celui qui n'y croyait pas
 II coule, il coule et se mêle
 A la terre qu 'il aima
 Pour qu'à la saison nouvelle
 Mûrisse un raisin muscat.
 
						Gilbert Dru avait été l'animateur avec Mandouze et Domenach des Cahiers de Notre Jeunesse, fondateur
						des Equipes Chrétiennes de la Résistance de Lyon, et avec Maurice-René Simonnet du Mouvement "Jeunes 
						Chrétiens Combattants".Il était en contact permanent avec un dirigeant de "Combat", Jean Gilibert. Il fut aussi l'un des 
						responsables du Témoignage Chrétien clandestin, et il influença de façon déterminante les travaux qui
						aboutirent à la création du M.R.P.
 
 Le message rédigé par lui en 1943, sous le titre "Introduction à une action politique des jeunes 
						Français", exprimait les exigences de l'action novatrice à laquelle il rêvait, dans un style dont 
						la parfaite tenue littéraire s'alliait à une pensée généreuse et ouverte, inspirée par la philosophie 
						personnaliste, associant humanisme démocratique et humanisme chrétien :
 
 
						"Nous voulons faire neuf, sain, efficace.""Notre force, c'est celle-là même de notre âge, de notre jeunesse, c'est la possibilité, la promesse 
						que nous apportons des ruptures nécessaires..."
 "A nos aînés, nous avons à faire comprendre que nos chances sont liées, que nous avons besoin 
						d'eux pour agir, mais qu'en retour nous leur apportons l'occasion de se retrouver avec nous sur un 
						terrain neuf, de surmonter leurs déceptions passées, de se tourner avec nous vers un avenir qui est 
						nôtre".
 
 
						Propos qui évoquent ceux de Charles Péguy auquel Gilbert Dru réservait, parmi ses admirations, une place
						privilégiée : "Une révolution est de l'ordre de la jeunesse, de l'enfance même, et de ce qu'il y a de 
						plus rare et de plus précieux quand on a le bonheur de pouvoir en trouver dans ce monde : la fraîcheur."
 Si l'élan révolutionnaire de la Libération s'est si tôt brisé, n'est-ce pas, pour une part, parce que 
						ceux qui s'étaient un instant rassemblés autour des idées exprimées dans le message de Gilbert Dru 
						n'avaient pas suffisamment approfondi entre eux les conditions d'une insertion de fait de leur volonté 
						rénovatrice dans la réalité politique française du milieu du XXe siècle, et que les difficultés rencontrées 
						par la suite ont provoqué chez eux, malgré l'identité de leur inspiration, des réactions différentes, voire 
						opposées ?
 
 "Des martyrs comme Dru, écrit Domenach à juste titre, ne peuvent être monopolisés par aucun parti : bien au 
						 contraire, ils commandent et jugent les partis, et ils demeurent les critères irrévocables d'une fidélité."
 
 Mais cette fidélité, héritage de la Résistance, n'atteste t'elle pas l'existence, chez des hommes 
						aujourd'hui séparés, de quelque chose qui dépasse la politique et dont la politique est malheureusement 
						une expression trop souvent dégradée ?
 
 
 
 
						Henri BOURBON
					 
						Co-fondateur de la revue  France Forum
						
 
 Extrait de "France-Forum " - n° 5 - Août 1957
 
						N.B. : Ayant pris énergiquement position contre le S.T.O.(1)
						 les Cahiers de Notre Jeunesse furent interdits par le Gouvernement de Vichy.
					 
						Notes :________________________________
 (1)	Service du Travail Obligatoire
 
 
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